Les héros du 13 novembre
Une de nos amis, Laurence-Cecile Gozlan, Médecin, était à l’hôpital Lariboisière et nous donne son émouvant témoignage sur les héros du 13 novembre:
Vendredi 13 Novembre 2015 :
Attentat du Bataclan Journée Santé Morte
Triste prémonition – Le hasard n’existe pas
Les Médecins étaient en grève pour ne pas être pénalisés par la Loi Touraine .
Nous préparions la manifestations qui devait avoir lieu le Lundi 16 lieu à 14h00 devant l’Assemblée Nationale .
Nous étions sur la toile et nous échangions de tous les coins de France.
22h00 : un message laconique , « La Grève est levée . Tous ceux qui sont en ligne et sur Paris rejoignez les hôpitaux » sur les réseaux sociaux et par SMS du Président d’un Syndicat de Médecins.Je ne savais pas encore , je me suis habillée et rendue en voiture jusqu’à l’Hôpital Lariboisiere .
J’ai traversé beaucoup de bruit , , des rues barrées , des uniformes , tant de visages figés , pétrifiés , même ceux des forces de l’ordre dans cette froide nuit .
Là étaient dirigées toutes les personnes atteintes qui ne pouvaient être prises en charge par L’Hôpital St Louis , le plus proche du Bataclan.
Terrible laisser-passer que ce Caducée de Médecins qui sert de coupe fil auprès de la Police , CRS et des Pompiers pour rejoindre un massacre qui m’a sauté à la gorge.
Vers 23h30 , Madame Roseline Bachelot a envoyé un Tweet : » Les Médecins feraient mieux d’être dans les hôpitaux au lieu de faire la grève »
J’ai répondu : » Vous devriez vous renseigner avant d’écrire ! Nous sommes conscients de nos responsabilités et déjà sur place , la grève est levée depuis 1 heure 1/2″.
Les urgences ressemblaient à un Hôpital de campagne : des blessés certains assis , égarés , dos affaissé , muets ; d’autres , yeux clos , gémissant sur des civières perfusés ou non ; quelqu’uns , visages torturés frissonnant à même le sol rosissant un drap blanc .
Et toujours , le sang ,
Le sang sur les chemises , les polos , les T-shirts , les pantalons , les vestes ,la peau marbrée de carmin, à certains ou certaines , il manquait une chaussure à talon , une boots par là , une ballerine perdue un peu plus loin .
Les regards hagards ,
Les gémissements et les cris ,
La peur presque palpable ,
Un tableau de Jérôme Bosch qui s’anime .
Un jeune homme sur un brancard hurlait , jean et pull maculés d’un sang qui n’était pas le sien , il avait mal de la souffrance et des blessures de ceux qui l’entouraient .
Je l’ai examiné , il ne présentait aucune plaie que celle du cœur et de l’âme . On lui a injecté un calmant et éloigné dans un couloir.
Une jeune fille blonde vêtue d’une chemise à carreaux se vidait de sève pourpre , une balle dans le ventre , direction le bloc .
Une femme brune pleurait , il fallait amputer les chairs déchiquetées de sa jambe , l’eau de vie écarlate coulait trop vite , ses yeux devenaient flous presque vitreux , il était déjà bien tard , trop tard pour elle .
Tous les blocs fonctionnaient en même temps. L’hôpital , machine à sauver des vies s’efforçait de suivre la cadence de ce déferlement.
Médecins et infirmières se croisaient et dansaient en un ballet trop élégant pour cette dévastation .
On recousait , on pansait dans les couloirs , il n’y avait plus de place.
Où était l’ asepsie ? des seringues , des aiguilles , des compresses , des poches de sérums , des ciseaux , des bistouris , des fils tout était là en vrac dans un désordre organisé .
Dans les blocs , les chirurgiens opéraient sans relâche , pas vraiment le temps de respecter le temps de stérilisation des salles : tenter de sauver à la chaîne.
Nos visages se creusaient , nos yeux se cernaient , et on continuait.
J’ai dû changer de blouses tachées , éclaboussées d’hémoglobine plusieurs fois pour ne pas effrayer encore plus les blessés déjà terrorisés. Combien de paires de gants ? Je ne sais plus.
Combien de regards effrayés , affolés , perdus , flous , recouverts d’un voile de pluie ai-je rencontrés ?
Pas le temps d’avoir froid , les heures glissaient.
Une infirmière s’est effondrée en larmes , cela en était trop pour elle , un jeune interne a craqué : pas de place pour eux.
En moi , régnaient le calme glacial , pas le détachement , l’efficacité , le contrôle comme je l’ai appris sur la terre ocre d’Afrique détrempée du sang de tant de guerres.
Les heures passaient , l’aube arrivait , et tout devenait calme presque trop calme , cela en était inquiétant après le vacarme et le bruit des soignants et des souffrants .
Les techniciens de surface en blouse bleue arrivaient avec leur chariot :,les flaques de carmin disparaissait pour laisser place au blanc .
Le matin , les parents arrivèrent , il fallait leur parler , les calmer , les apaiser. Nombre des personnes transportées n’avaient pas leurs papiers et ne pouvaient parler .
J’ai demandé des photos pour les identifier, ils m’ont donné tant de portables étiquetés .
Le Samedi s’étira entre les soins , les identifications , les crises de nerfs des mères , des pères , les annonces , l’ écoute et les mots que l’on répète sans cesse .
J’ai quitté l’hôpital le Dimanche dans la matinée , je n’avais pas envie de dormir , il faisait beau et bleu , j’étais dévastée comme mes confrères , tout le personnel soignant .
Je suis allée marcher et prier .
Et qui nous parlerait à nous ?
Un confrère radiologue le Lundi procéda à des autopsies par body scan à l’hôpital de L’Hôtel Dieu.
Pendant près vingt heures , des corps inertes ont défilé sous la machine et il a dicté des compte rendus , il est resté seul avec le silence et le froid pour ne pas les profaner .
En rentrant , il n’a pas pu dormir , quand retrouvera -t-il le sommeil ?
Cette nuit là , nous étions nombreux à agir , à traiter , peu de mes collègues souhaitent en parler , de peur de se souvenir.
Alors ne me demandez pas si je pardonne à ces hommes .
Seul D. peut pardonner un acte d’une telle violence , d’une telle brutalité , d’une telle cruauté .
Combien sont partis dans l’après vie ?
Je n’oublie rien .
Toutes ces images hantent mes nuits
Ce n’était pas la guerre , c’était la barbarie.
Et ce n’est pas fini
Laurence Cecile Gozlan
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